Dans ma chambre toujours les mêmes tonnerres venaient fracasser l'écho, par trombes, les foudres du métro d'abord qui semblaient s'élancer vers nous de bien loin, à chaque passage emportant tous ses aqueducs pour casser la ville avec et puis entre-temps des appels incohérents de mécaniques de tout en bas, qui montaient de la rue, et encore cette molle rumeur de la foule en remous, hésitante, fastidieuse(1) toujours, toujours en train de repartir, et puis d'hésiter encore, et de revenir. La grande marmelade des hommes dans la ville.
D'où j'étais là-haut, on pouvait bien crier sur eux tout ce qu'on voulait. J'ai essayé. Ils me dégoûtaient tous. J'avais pas le culot de leur dire pendant le jour, quand j'étais en face d'eux, mais d'où j'étais je ne risquais rien, je leur ai crié " Au secours! Au secours!" rien que pour voir si ça leur ferait quelque chose. Rien que ça leur faisait. Ils poussaient la vie et la nuit et le jour devant eux les hommes. Elle leur cache tout la vie aux hommes. Dans le bruit d'eux-mêmes ils n'entendent rien. Ils s'en foutent. Et plus la ville est grande et plus elle est haute et plus ils s'en foutent. Je vous le dis moi. J'ai essayé. C'est pas la peine. [...]

Louis-Ferdinand CELINE, Voyage au bout de la nuit, 1932.

(1) Qui cause de l'ennui, du dégoût..

Louis-Ferdinand CELINE (1894-1961) met en scène un personnage appelé Bardamu dans son roman Voyage au bout de la nuit dont une partie relate le séjour du protagoniste aux Etats Unis d'Amérique et son séjour à New York et Détroit.